Conclusion
En quoi cela permettrait de redonner du sens à la consommation, tout en se situant à la croiser de l’art
et du commerce ?
Peut-on, grâce à la scénographie, faire œuvre à partir du produit ? Est-ce que la dimension commerciale ne finit pas toujours par prendre le dessus sur la création d’une narration riche et pertinente ?
Cette problématique m’a guidée à travers une exploration théorique et pratique des enjeux contemporain du design. En abordant le sujet sous plusieurs angles, j’ai cherché à comprendre comment le designer peut naviguer entre les contraintes commerciales et ses ambitions artistiques. En d’autres termes, j’avais un besoin irrépressible de répondre à cette interrogation qui m’habitait depuis mon entrée à l’École Boulle, à savoir : que signifie créer dans un monde consumériste ? Sans y mettre toutes les formes, là était le fil conducteur de ma réflexion.
En commençant par une plongée historique sur les origines du design et de la consommation, en me concentrant sur l’émergence des grands magasins au XIXe siècle ; j’ai entraperçu que ces lieux étaient dès leur création de véritables laboratoires de la scénographie. Les architectes et créateurs de ces temples de la consommation ont utilisé l’espace non seulement pour exposer les produits, mais pour les transformer en objets de désir. La scénographie, loin d’être une simple enveloppe décorative, comporte aussi en elle un biais presque pervers : celui de nous faire adhérer pleinement à un objet, de le désirer jusqu’à vouloir le posséder. Dans l’esprit du consommateur, elle opère une transition sur la considération qu’il a du produit : d’un objet utilitaire à un fétiche devant être acheté. La scénographie commerciale est, dès ses origines, un outil stratégique qui dépasse la simple esthétique ; elle devient le moteur d’une économie de désir, un levier de manipulation des perceptions.
Si ma réflexion s’est ensuite orientée sur un état des lieux de la scénographie contemporaine, c’est bien que j’espérais une réconciliation possible entre art et commerce. Et par extension, comment, en tant que designer, maintenir une intégrité créative tout en étant soumis aux impératifs d’une économie du spectacle ? À travers l’analyse de leurs pratiques, j’ai compris qu’il était possible pour la scénographie de se frayer un chemin vers un point de vue plus critique et distancié sur la société consumériste auquel elle appartient. Dès lors, le designer ne doit pas être un simple exécutant du produit. Il peut, en utilisant des stratégies subversives, redéfinir les biais marchands et offrir une expérience qui dépasse la simple consommation matérielle. Le commerce et l’art peuvent non seulement coexister, mais s’enrichir mutuellement.
À travers le vide, j’ai ensuite trouvé la juste métaphore de mon dilemme : là où la saturation visuelle étouffe souvent l’expérience, le vide n’est pas un manque ; il devient un espace ambigu. Il me fallait attaquer mon étude par un outil scénographique à la fois conceptuel, issu d’une longue tradition artistique, mais aussi d’une tendance emprunté par le consumérisme afin de se renouveler. Intégrer le vide comme procédé au sein d’une scénographie revient donc à expérimenter les hybridations possibles entre art et commerce. Mais si le designer veut avoir une marge de manœuvre suffisante, sa place au sein de la stratégie commerciale globale est à redéfinir. Sans naïveté, nous pouvons espérer que l’inclure dans de hautes instances de décisions nuancerait l’expérience que nous faisons de la consommation. Mais sans ce changement de position, il ne pourrait demeurer qu’un instrument du système global, et non un acteur décisif. Autrement dit, la posture professionnelle du designer serait la première chose à replacer dans une stratégie de projet afin d’atteindre notre synthèse tant espérer, à savoir :
Que cela donnerait-il d’avoir un designer comme directeur artistique permanent d’un Grand Magasin ?
En quoi cela permettrait de redonner du sens à la consommation,
tout en se situant à la croiser de l’art et du commerce ?
Sur un plan plus personnel, ce mémoire m’a en réalité servit d’exutoire, de thérapie afin de concilier mes deux aspirations professionnelles à savoir : culture et commerce, art et marché. Ces pérégrinations intellectuelles ont réussi à me faire voir au-delà de mon cynisme habituel : je ne vois plus désormais ma pratique du design comme un simple mécanisme au service du commerce. Le nihilisme qui m’a longtemps semblé être une posture de sagesse face à la société marchande, cède désormais sa place à une conviction forte : le design a un rôle essentiel à jouer dans la construction d’un monde plus enviable, plus sensé. Après tout, n’est-ce pas là pourquoi le designer est payé : rendre le futur désirable ?